Le dialecte de Kobayashi
Le thème du jour porte sur un sujet trop peu connu : le patois de Kobayashi. Kobayashi-ben ou Nishimoro-ben pour les intimes.
Tous les pays du monde ont cette spécificité linguistique. Le Japon n’échappe pas à la règle, et vous balader dans les campagnes reculées du Japon peut parfois être synonyme d’aterrissage sur une nouvelle planète linguistique.
Il faut voir ça comme une bonne chose : inutile de parler japonais car ce type de langage est incompréhensible pour 90% des gens de toute façon.
Comment le dialecte de Kobayashi se différencie-t-il du japonais standard ?
C’est simple, si l’on devait trouver un point commun, seule la structure grammaticale reste la même (ex : le verbe reste toujours à la fin de la phrase). Pour le reste, tout change. A commencer par le vocabulaire. Ce ne sont pas seulement de petites aberrations locales, telles que « chocolatine » pour « pain au chocolat ». Non, ce sont tous les verbes et adjectifs qui varient, avec une amplitude plus ou moins grande.
A cela s’ajoute aussi la différence d’intonation, le débit de paroles. La façon de parler est très spéciale et rapide, comme si tous les mots étaient attachés pour n’en former qu’un seul. Ce doit être aussi l’effet lorsqu’on entend une langue totalement inconnue, aucun mot ne semble ressortir, seulement des sons liés les uns aux autres.
Enfin, contrairement à la langue japonaise standarde, l’écriture de ce dialecte n’utilise aucun kanji. Tout n’est que sons, consonnances, donc seuls les hiraganas et katakanas sont utilisés.
Pour mieux comprendre : le japonais s’écrit avec 3 alphabets distincts qui se mélangent au sein d’une même phrase.
⇒ Les kanjis sont les signes tirés directement du chinois, ceux-ci représentent un sens et correspondent à un ou plusieurs sons (souvent plusieurs, sinon c’est moins un supplice à apprendre)
Exemple : 牛 qui veut dire « vache, boeuf » et se prononce « ushi » ou « gyuu » selon son humeur.
⇒ Les hiraganas sont un alphabet simplifié. Ils ne correspondent qu’à un son, une syllabe, ils ne possèdent aucun sens en soi.
Exemple : ま→ ma み→ mi む→ mu め→ mé も→ mo
⇒ Les katakanas sont encore plus simplifiés que les hiraganas. Eux aussi ne représentent qu’un son. Bonus pour les katakanas : ils sont utilisés pour les mots étrangers. Tous les noms et prénoms étrangers sont donc écrits avec cet alphabet.
Exemple : マ→ ma ミ→ mi ム→ mu メ→ mé モ→ mo
↑on voit dans cet exemple (si je ne vous ai pas encore perdu) que le « mo » en katakana est juste une simplification du « mo » en hiragana.
Ainsi, le patois de Kobayashi est purement phonétique et n’utilise que les deux alphabets simplifiés. Rassurons-nous toutefois, ce ne sont pas les occasions de l’écrire qui vont nous étouffer. Le problème ce sont les textos de tes amis qui ne remarquent même plus qu’ils utilisent le patois du coin. Il est toujours possible d’utiliser l’ami de tous, Google Translate, mais le résultat risque d’être encore plus à côté de la plaque que d’habitude.
Pourquoi parler de ce patois en particulier ?
Bon déjà, car je fais bien ce que je veux hein. Ensuite, et surtout, car Kobayashi fut la seule ville à réussir un incroyable buzz médiatique grâce à son argot si original. Comment ? En jouant sur sa ressemblance avec le français. Et oui, cela ne parlera probablement à aucun d’entre vous, mais le dialecte de Kobayashi est connu pour ressembler au français. Rassurez-vous, c’est tout sauf ressemblant, c’est simplement que l’oreille des Japonais pour les langues étrangères est souvent surprenante.
En lien avec une célèbre agence de publicité nippone, la ville de Kobayashi a créé une vidéo représentant un jeune Français qui vit, se balade et profite des lieux et activités de la ville tout en commentant la vie ici. Ses commentaires étant dans un langage parfaitement incompréhensible, les Japonais pensent tout simplement qu’il parle français tout du long. A la fin de la vidéo, le héros nous dit alors « vous n’avez probablement pas remarqué mais je ne parle pas français mais l’argot de Kobayashi ». BOUM, succès immédiat dans tout le Japon ! Publicité au départ destinée seulement à Youtube, elle a remporté de nombreux prix et son succès l’a propulsée (2,7 millions de vues sur Youtube) jusqu’à la télévision japonaise, et voilà ! Les gens à travers tout le Japon en parlent encore cinq ans après.
Lorsque je dis que je vis à Kobayashi, tous les Japonais me demandent si le dialecte ressemble vraiment au français (après visionnage de la vidéo, vous l’aurez compris : non) et certains me demandent également si c’est moi qui joue dans la fameuse publicité. Question toujours agréable quand on sait que l’acteur est un homme… et moi non. Décidément, la capacité des Japonais à trouver des ressemblances improbables mériterait sincèrement un article entier.
Il existe de nombreux patois dans probablement toutes les régions du Japon, à des niveaux de compréhension plus ou moins faciles, cependant celui d’ici est particulièrement bien utilisé pour promouvoir la ville. Les habitants sont fiers de leur dialecte et surfent avec talent sur la vague de leur première vidéo promotionnelle. Ils font preuve de beaucoup d’ingéniosité et d’originalité pour se faire connaître et ainsi attirer les touristes japonais.
Une de mes vidéos préférées vient d’une idée des lycéens de Kobayashi : un randonneur est totalement perdu et un dieu apparaît alors devant lui pour lui indiquer le chemin. Le seul problème est que le dieu du coin parle le patois du coin… et le randonneur reste clairement perdu↓
Je trouve l’idée de cette vidéo parfaitement originale, drôle et finalement plus facile à comprendre pour nous, novices de l’argot régional. Probablement car le fait de ne rien comprendre est le but de la vidéo.
Il paraît que la première vidéo (la plus connue) a été diffusée à un festival de cinéma en France, pour voir la réaction de l’autre côté du globe. Le résultat était prévisible : l’humour de la vidéo fut incompréhensible pour le public français et ce fut un flop.
Comment évolue le dialecte de Kobayashi?
On imagine souvent les Japonais vivant dans une même maison, avec des jolies portes coulissantes en papier, un beau mélange de trois générations, de la grand-mère aux petits-enfants, et le tout dans une atmosphère sereine, enjouée. Tout le monde s’asseoit en tailleur sur le tatami et se bousille les genoux autour de tables polly pocket pour partager le repas. L’absence de chaises reste une plaie réalité mais la cohabitation de différentes générations a tendance à disparaître. En effet, les personnes agées vivent de moins en moins avec leur famille et sont souvent placées en maison de retraite. L’argot étant transmis uniquement à l’oral, les jeunes ne discutent plus quotidiennement avec leurs grand-parents, ils ne savent donc plus comprendre le patois et encore moins le parler. A cela s’ajoute la télévision qui s’est invitée dans toutes les maisons japonaises et transmet ses émissions (des plus débiles) dans la langue japonaise standarde. Ainsi, aujourd’hui le nombre de personnes pouvant maîtriser le Kobayashi-ben décline grandement. Cependant la fierté locale reste intacte et les gens font leur maximum pour que ce patois devenu célèbre ne s’éteigne pas avec le temps.
C’est d’ailleurs grâce à ce fameux dialecte que j’ai pu voir à quel point les habitants de Kobayashi aiment leur ville et à quel point ils veulent la faire connaître au plus grand nombre.
Pour ceux qui veulent voir à quoi ressemble le dialecte de Kobayashi en détails, je vous invite à découvrir le lien vers le dictionnaire du Kobayashi-ben créé par la ville (http://www.tenandoproject.com/jiten) ou mieux : de venir l’apprendre directement ici 😉
またじゃんそ! « Mata janso! » A bientôt !
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Lorraine